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Cafés Salés & autres Douches Froides
21 octobre 2006

13 + 7

Quand je sortis du café de l’angle, il pleuvait. J’avais beau me couvrir la tête de mes écharpes et me cacher fébrilement le visage d’énormes lunettes de soleil, je ne ressemblais pas le moins du monde à une actrice des années soixante en promenade champêtre.

J’avais beau me donner l’air de celle qui, dans son accoutrement ridicule et outrancier, n’avait que faire de ce que les passants détrempés pensaient de sa façon de tirer sur sa cigarette, je guettais les regards et les silhouettes.

Quelques heures plus tôt, nous étions entrés dans ce débit de boisson. Sophia travaillait vaguement, jonglant entre la noisette et le cendrier, tandis que j’attendais qu’un visage se détache derrière la vitre emperlée de la porte.

Mais il ne viendrait pas, l’éphèbe blond. Une semaine que j’attendais de le croiser au détour d’une rue, d’admirer en coin son œil rieur et fasciné, d’entendre sa voix d’une gravité factice à travers l’écouteur.

Je ne devais plus être aussi irradiante que la semaine passée. Je ne devais plus être la source de son air de benêt béat, celle qui aurait droit aux confidences idiotes et aux avances maladroites d’un enfant se cachant derrière trop de barbe et de cheveux. De quoi avait-il peur ? Je n’étais pas si intimidante. Il y avait eu des idées, pourtant. Nous aurions dû chanter dans un anglais déplorable, boire un canon de rhum et finir quelque part d’un peu glauque et humide, après toute une nuit de films d’un goût douteux. Tout cela aurait été feint ? Les beaux sourires tout en fossette, calculs éhontés ?

La confiance s’étiole quand on n’a plus personne pour nous trouver une splendeur que l’on n’a pas.

Alors je marchais. Je n’allais pas à la gare comme je l’avais pourtant promis la veille. Tout le monde connaissait le peu de poids qu’avaient alors mes fréquentes promesses. J’avais froid, et l’air idiot. Et envie de pleurer. Ce que je fis sans gêne, étant donné que la pluie et les lunettes faisaient un alibi parfait à cet emportement. Ma voix ne semblait trembler que sous le rythme de mes pas qui s’alignaient sur les pavés luisants, le souffle court.

Je pensais à la mort.  Elle avait un si doux visage depuis le lit d’hôpital, entre les perfusions et le goutte-à-goutte. Et chaque remarque me ramenait à ces pensées, chaque rire me tirait vers ces instants attablés où nos moqueries se confondaient dans des délires grotesques. Sa bêtise sublimant la mienne, et chaque mot pesant plus lourd encore que nos pieds entremêlés entre la chaise et la banquette.

Je ne voulais plus penser.

L’alcool se présenta comme mon messie. Il me restait cette bouteille de rhum de cuisine, celle que nous aurions dû finir ensemble. Cette nuit-là. Une semaine jour pour jour. Pas de nouvelles. Pas encore. Jamais.

Autant l’oubli. L’oubli doux-amer d’un fond de culasse, quelques gorgées de sirop brunâtre pour s’épaissir le sang, obstruer les quelques vaisseaux encore en fonctionnement.

Autant l’envol. Quelques bouffées bon marché d’herbe, quelques vertiges économiques. Un buvard au pire.

Le violoncelle sonnait si strident,  le son se répercutait dans la caisse, vibrant contre mon ventre comme un amant de fortune, puis s’engouffrait dehors par les ouïes, me mettant en transe. Une valse à quatre temps, une valse à mille temps. Aurais-je encore le temps, aurais-je un jour vingt ans ?

Minuit sept. Je n’arrivais toujours pas à trouver le sommeil, et avait crû entendre mon prénom hurlé dehors, de l’autre côté de la fenêtre, derrière l’opacité du store.

Je vomissais. Je fumais la pipe pour ne pas me ronger les sangs. Les voisins jouaient du didgeridoo et du saxophone. La pluie avait inondé ma chambre, fait court-circuité mon pédalier de guitare et noyé mon livre de philosophie. Quelques larmes de plus ou de moins.

J’étais en cage, je n’en pouvais plus. Je voulais changer. Renaître en icône cynique et ravageuse pour les générations futures. Je voulais être, à mon tour, le messie, être un salut plus convaincant que ceux que j’avais en ma possession.

Il me hantait littéralement. Là. Dans les nœuds de mon estomac, dans mes yeux révulsés, dans la bile, dans le blanc cérusé du haricot, dans le brou de noix du café calva. Là, partout.

Il devait partir. Partir.

Pitié.

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