Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Cafés Salés & autres Douches Froides
22 octobre 2006

Stone the Coward

hateful

Je me levais tôt. Certainement trop pour quelqu’un qui n’avait rien d’autre à faire que d’égrener quelques accords ridicules en imaginant derrière des samples révolutionnaires, en criant au loup et au menteur.

Mon visage était déformé dans tout ce qui restait de ce miroir que j’avais brisé le mois dernier. J’avais les yeux caves et le cheveu hirsute, l’omoplate et la clavicule trop saillantes. On aurait dit une mauvaise caricature du junkie communiste, au couteau entre les dents près.   

L’odeur de pourriture dans la chaleur moite de la chambre me soulevait le cœur.

J’enfilais sans conviction un jean élimé et un pull immense pour échapper à l’atmosphère malsaine de ma mansarde, et partis traîner dans l’euphorie bourgeoise du marché couvert, grandiose parcours du combattant où le soldat aguerri peine à se frayer un chemin entre les caddies à roulettes et les mères de bonne famille s’échangeant le nom du précepteur de leurs cadets.

Les couleurs chatoyantes des étals et les odeurs de vin chaud aux effluves de cannelle et de miel me rassurèrent de leur douceur. Je n’avais rien dans mon escarcelle pour satisfaire mon appétit acéré par la beauté exotique des courges biscornues empilées, avec leurs bourrelets multicolores et leurs turbans de pacha, par les montagnes de poires aux joues roses comme des communiantes et les grappes de raisin grosses à faire pâlir Bacchus de jalousie.

C’était bien l’automne, et je me sentais aussi pauvre que celui qui n’a pas de quoi payé son repas, et erre sous les platanes dont les feuilles ne cachent plus assez ces moignons qui les défigurent. Démunie.

Comme la faim commençait à me ronger, j’entamais ma route vers le réconfort.

Je murmurais dans l’interphone mon prénom, et montais les escaliers dans l’obscurité qui envahissait le couloir, bien qu’il fut à peine midi.

« Il pleut dans mon cœur comme il pleut sur la ville. »

L’accueil fut à la hauteur de ma déconvenue. Les embrassades et la chaleur méridionale me prirent d’assaut.

On but un bol de soupe brûlante dans la cuisine, de la soupe au potiron avec quelques pâtes alphabet qui flottaient dedans, seulement pour s’écrire des mots d’amour sur le rebord, avec la petite cuillère comme craie.  Et pour dessert une demie orange, seulement pour se dessiner de grands sourires avec chaque quartier, dont nous coincions la pulpe entre nos dents.

J’étais malade. Elle me fit gentiment la morale, me montrant à quel point ma vie était morcelée et dictée par la débauche, ce à quoi j’acquiesçais avec ravissement. Je lui racontais mes dernières mésaventures et combien le lycée m’aigrissait, et toujours me couvant de son œil ourlé de khôl, elle ajouta de sa voix la plus douce :

«  De toutes façons, les mecs beaux sont tous cons, cherche pas. Et puis vraiment, c’est lui qui perd quelque chose. Il passe à côté de quelqu’un de trop génial pour lui. »

Les mots étaient affreusement banals, et pourtant, cette intonation qu’elle avait prouvait qu’elle croyait furieusement ce qu’elle disait. Pour elle, j’étais ce quelqu’un que la promiscuité a rendu divin. C’était juste parfait, et m’emplit d’un sentiment d’existence, d’être une nécessité. Je me sentais admirable, moi qui quelques instants auparavant étais mendiante.

Nous fîmes une sieste, moi sur ses reins, son chat sur les miens. Et la pluie qui battait froid sur la vitre ne rayait pas notre cocon vert amande de couvertures.

Je dû m’enfuir après le café, oubliant le parapluie de mon père en guise de soulier de vair, et voguais vers les dissonances du conservatoire.

Le hall était vide, résonnant des réminiscences de sonates pour clavecin et des gammes de quelque joueur de cor anglais, les mélodies affaiblies s’entremêlant dans l’air humant le détergeant pour former une plaisante cacophonie, qui depuis ma première enfance me fascinait.

Parfois, je m’avouais n’être revenue subir la violence du solfège et la rigide dictature de la mesure seulement pour me savoir matelot dans les calles de ce grand navire d’acier et de verre, membre de l’équipage tranquille et bien incapable de mutinerie des voix impénétrables de la discipline musicale. Pour pouvoir légitimement écouter ce vertigineux ressac artificiel venu du fond des âges.

Puis je rentrais, picorais quelques sottises, tentais de trouver l’âme généreuse qui accompagnerait mes envies de saoulerie et subirait mes élucubrations, ratais même cette quête, et  décidais que le monde entier avait dû signer quelque pacte occulte pour entrer dans une guerre tacite contre moi-même.

J’échouais finalement,  telle le baleineau trop tôt sevré, au creux de la baignoire, à faire des bulles avec ma bouche à la surface de l’eau en broyant du noir d’encre de pieuvre par la pensée. Je séchais mes os, et décidais que la nudité siérait parfaitement à mon état larvaire, avant de plonger dans les abysses malodorants de mes draps rêches de saleté.

Je m’y chantais de barbares berceuses, faute d’avoir une nourrice pour me susurrer de plus moelleuses comptines.

Beat Beat Beat the Liar

Stone Stone Stone the Coward

How Weak How Weak You Are.

Publicité
Publicité
Commentaires
A
Eh bien. C'est banal, mais Merci.
P
tres beau texte. C'est banal mais les mots me manquent tant les tiens m'ont touchée
Cafés Salés & autres Douches Froides
Publicité
Publicité